Page:Gide - Les Nourritures terrestres.djvu/160

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

des causeries sur les balcons, des rêveries le soir près des robes pâles des femmes ; les rideaux à moitié retombés nous isolaient de la société bruyante du bal. Il y eut des paroles échangées, d’une si désolante délicatesse qu’après on restait quelque temps sans parler ; puis montait du jardin l’intolérable parfum des fleurs d’oranges, et le chant des oiseaux des nuits d’été ; et puis ces oiseaux même par instants se taisaient ; alors on entendait très faiblement le bruit des vagues.

Balcons ; corbeilles de glycines et de roses ; repos du soir ; tiédeur.

(Ce soir une bourrasque lamentable sanglote et ruisselle contre ma vitre ; je m’efforce de la préférer à tout.)

*

Nathanaël, je te parlerai des villes :

J’ai vu Smyrne dormir comme une petite fille couchée ; Naples, comme une lascive baigneuse, et Zaghouan, comme un berger kabyle, dont l’approche de l’aube a fait rougir les joues ; Alger trembler d’amour au soleil, et se pâmer d’amour dans la nuit.