Page:Gide - Les Nourritures terrestres.djvu/41

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

*

Certes, tout ce que j’ai rencontré de rire sur les lèvres, j’ai voulu l’embrasser ; de sang sur les joues, de larmes dans les yeux, j’ai voulu le boire ; mordre à la pulpe de tous les fruits que vers moi penchèrent des branches. À chaque auberge me saluait une faim ; devant chaque source m’attendait une soif — une soif, devant chacune, particulière ; — et j’aurais voulu d’autres mots pour marquer mes autres désirs

de marche où s’ouvrait une route ;

de repos où l’ombre invitait ;

de nage au bord des eaux profondes ;

d’amour ou de sommeil au bord de chaque lit.

J’ai porté hardiment ma main sur chaque chose et me suis cru des droits sur chaque objet de mes désirs. — (Et d’ailleurs, ce que nous souhaitons, Nathanaël, ce n’est point tant la possession que l’amour.) Devant moi, ah ! que toute chose s’irise ; que toute beauté se revête, se diapre de mon amour.