Page:Gide - Les Nourritures terrestres.djvu/71

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souffle plus frais ; je fermais les yeux, non pour dormir, mais pour cela. La chaleur avait été durant tout le jour étouffante et, ce soir, l’air encore très tiède pourtant parut frais et comme liquide à mes paupières enflammées.

À Grenade, les terrasses du Généraliffe, plantées de lauriers roses, n’étaient pas fleuries lorsque je les vis ; — ni le Campo Santo de Pise ; ni le petit cloître de Saint-Marc, que j’aurais souhaité plein de roses… Mais à Rome, le Monte Pincio, je l’ai vu dans la plus belle saison ; durant les après-midi accablantes, on y venait chercher de la fraîcheur. Demeurant auprès, je m’y promenais chaque jour. J’étais malade et ne pouvais penser à rien ; la nature me pénétrait ; aidé par un trouble des nerfs, je ne sentais parfois plus à mon corps de limites ; il se continuait plus loin ; ou parfois, voluptueusement, devenait poreux comme un sucre ; je fondais. — Du banc de pierre où j’étais assis, l’on cessait de voir Rome qui m’exténuait ; on dominait les jardins Borghèse, dont le contrebas mettait au niveau de mes pas les cimes un peu lointaines des plus hauts pins… ô terrasses ! terrasses, d’où l’espace s’est élancé.