Page:Gide - Les Nourritures terrestres.djvu/77

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vagues avancent et se succèdent sans aucun bruit. Elles se suivent, et chacune soulève à son tour la même goutte d’eau, sans presque la déplacer. Seule leur forme se promène ; l’eau se prête, et les quitte, et ne les accompagne jamais. Toute forme ne prend que pour bien peu d’instants le même être ; à travers chacun, elle continue, puis le laisse. Mon âme ! ne t’attache à aucune pensée. Jette chaque pensée au vent du large qui te l’enlève ; tu ne la porteras jamais toi-même jusqu’aux cieux.

Mobilité des flots, c’est vous qui fîtes ma si chancelante pensée ! tu ne bâtiras rien sur la vague. Elle s’échappe sous chaque poids.

Le doux port viendra-t-il, après ces décourageantes dérives, ces errements de ci, de là ? — où mon âme enfin reposée, sur une solide jetée, près du phare tournant — regardera la mer.

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