Page:Gide - Les Nourritures terrestres.djvu/81

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ouverts, de peur, si je les refermais pour la prise, de n’avoir saisi qu’une chose. L’erreur de ma vie fut dès lors de ne continuer longtemps aucune étude, pour n’avoir su prendre mon parti de renoncer à beaucoup d’autres. — N’importe quoi s’achetait trop cher à ce prix-là, et les raisonnements ne pouvaient venir à bout de ma détresse. Entrer dans un marché de délices, en ne disposant (grâce à Qui ?) que d’une somme trop minime ; en disposer ! choisir, c’était renoncer pour toujours, pour jamais, à tout le reste — et la quantité nombreuse de ce reste demeurait préférable à n’importe quelle unité.

De là me vint d’ailleurs un peu de cette aversion pour n’importe quelle possession sur la terre — la peur de n’aussitôt plus posséder que cela.

Marchandises ! provisions ! tas de trouvailles ! que ne vous donnez-vous sans retraite ? Et je sais que les biens de la terre s’épuisent (encore qu’ils soient inépuisablement remplaçables) — et que la coupe que j’ai vidée reste vide pour toi, mon frère, (bien que la source soit voisine). Mais vous ! vous, immatérielles idées, formes de vie non détenues, — sciences, et science de Dieu — coupes de vérité, coupes intarissables — pourquoi