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II

La terrasse monumentale où nous étions, où des escaliers tournants conduisaient, dominait toute la ville et semblait, au-dessus des feuillages profonds, une nef immense amarrée ; parfois elle semblait avancer vers la ville. Sur le haut pont de ce navire imaginaire, cet été, je montais quelquefois goûter après le tumulte des rues l’apaisement contemplatif du soir. Toute rumeur en montant s’épuisait ; il semblait que ce fussent des vagues et qu’elles déferlassent ici. Elles venaient encore et par ondes majestueuses, montaient, s’élargissaient contre les murs. Mais je montais encore, où les vagues n’atteignaient plus. Sur la terrasse même, on n’entendait plus rien que le frémissement des feuillages et l’appel éperdu de la nuit.

Des chênes verts et des lauriers immenses, plantés en régulières avenues, venaient finir au bord du ciel, où la terrasse même finissait ; pourtant des balustrades arrondies, par instants, s’avançaient encore, surplombant et comme des balcons dans l’azur. Là, je venais m’asseoir, je m’enivrais de ma pensée délicieuse ; là je croyais