Page:Gide - Souvenirs de la Cour d’assises.djvu/101

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On les renfonçait dans l’eau, car en cherchant à les sauver on eût fait chavirer la barque pleine…

Oui ! le mieux c’est de ne pas tomber à l’eau. Après, si le ciel ne vous aide, c’est le diable pour s’en tirer ! — Ce soir je prends en honte la barque, et de m’y sentir à l’abri.

Avant de rentrer me coucher, j’avais longtemps erré dans ce triste quartier près du port, peuplé de tristes gens, pour qui la prison semble une habitation naturelle — noirs de charbon, ivres de mauvais vin, ivres sans joie, hideux. Et dans ces rues sordides, rôdaient de petits enfants, hâves et sans sourires, mal vêtus, mal nourris, mal aimés…

Mais Cordier, lui, est fils d’une honnête famille ; il a eu de bons exemples sous les yeux. Si on lui tend la perche, peut-être qu’on pourrait le sauver.

Le lendemain matin, je m’en vais trouver son avocat et lui soumets le projet de requête que voici (il s’agit, du reste, d’une demande non de recours en grâce, mais simplement de diminution de peine) :

 Attendu

Que le seul témoignage contre l’accusé Cordier est celui de la victime, M. Braz, ivre au moment où elle a été attaquée ;

Que du reste M. Braz, marin, reparti en voyage, n’a pu être atteint par la citation et par conséquent être entendu à l’audience ;