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L’ANTIGONE DE SOPHOCLE

qu’ils n’ont point avouée et dont ils n’ont peut-être pas eu pleinement conscience : celle de Hegel, qui, précisément à l’époque où parut la dissertation de Boeckh, développait avec une autorité croissante l’ensemble de ses hardies constructions, et imposait au public de Berlin ces formules absolues où la pensée allemande est entrée pour longtemps comme dans des moules. C’est lui qui a conçu l’ordre d’idées auquel appartient la théorie de Boeckh, et préparé les esprits à la recevoir ; c’est même lui qui le premier en a arrêté les principaux traits, car il s’est occupé de l’Antigone avec une remarquable insistance. Dès 1807, il y faisait d’importantes allusions dans son premier ouvrage original, la Phénoménologie de l’esprit ; la pièce de Sophocle est l’objet d’une mention directe et d’une appréciation dans ses Fondements de la philosophie du droit (1821), et il en est encore assez longuement question dans l’Esthétique, publiée en 1838, après sa mort, par ses élèves. Ce qui explique de sa part cette préoccupation particulière, c’est que, pour lui, cette tragédie antique renferme déjà la question des rapports de la religion et de l’État, question si grave dans la société moderne et qui la passionne si vivement. Indiquons en quoi consistent ses idées.

Le philosophe allemand suit à sa manière les traces d’Aristote, le grand généralisateur de l’an-