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LA PASTORALE DANS THÉOCRITE

que Daphnis soutient contre Vénus et où, malgré sa mort, il n’est qu’à demi vaincu, sa demi-victoire consistait en ce qu’il ne laissait fléchir ni sa volonté ni sa vertu : la passion le domptait, il mourait d’amour, mais Vénus ne pouvait rien sur sa résolution ni sur sa fidélité. Cette distinction paraît trop subtile à Hermann, et voici la simplification qu’il imagine. Vénus a inspiré à Daphnis une passion violente, sans issue, mortelle, pour Xénéa, et, en même temps, elle le fait aimer par cette jeune fille dont le nom n’est pas prononcé : que le chaste berger réponde à ce dernier sentiment qu’il ne partage pas, qu’il reconnaisse ainsi l’empire de Vénus, et la déesse de l’amour sera satisfaite ; elle le délivrera du mal qui l’obsède et qui le tue.

Qu’est-ce, en effet, que Xénéa ? C’est ici que la grammaire nous prête son concours. Xénéa n’est pas un nom propre ; c’est, comme d’autres critiques l’ont également admis, une forme d’un adjectif bien connu qui signifie étranger. Cette passion qui le possède tout entier, corps et âme, Daphnis la ressent pour une étrangère, pour un être qu’il ne peut atteindre, pour un fantôme. Et, en effet, parmi les différents noms qui nous ont été transmis pour la maîtresse de Daphnis, se rencontre celui de Chimæra, la Chimère. C’est donc une création fantastique, un être sans existence, qui hante l’imagination de ce pauvre rêveur et trouble