Page:Girard - Études sur la poésie grecque, 1884.djvu/98

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
84
ÉTUDES SUR LA POÉSIE GRECQUE

ne conçoivent guère un poète qui n’en soit plus ou moins atteint ? Oui, sans doute, cette source profonde d’émotions, où ont puisé tous les grands poètes de la Grèce, n’a pu lui être fermée. Mais quelle différence entre la mélancolie, que Gœthe, Chateaubriand, Byron, Lamartine nous ont appris à aimer, et celle qui se sent parfois dans ses œuvres ! La sienne est absolument exempte d’égoïsme et de faiblesse. Ce ne sont point les confidences d’une âme qui se complaît à s’offrir au monde comme un exemple de ces vagues tristesses qui envahissent certaines natures d’élite. Pour lui, sa personne propre disparaît, perdue dans une vue générale de la destinée humaine : « Êtres éphémères, que sommes-nous ? que ne sommes-nous pas ? L’homme est le rêve d’une ombre. — Ô dieux ! combien s’égare la pensée ignorante de ces êtres d’un jour ! — Un homme possède la richesse et l’emporte sur les autres en beauté ; vainqueur, il a fait éclater sa force dans les luttes : qu’il se souvienne qu’il a revêtu un corps mortel et qu’à la fin il revêtira la terre. » Ces graves paroles, qui font penser à l’Écriture et à Bossuet, et qui d’ailleurs ne résonnent que comme quelques notes isolées dans un concert d’harmonies mâles et brillantes, n’atteignent pas jusqu’à ces régions intimes où s’éveillent les délicatesses de la sensibilité moderne.

Sans aller jusqu’au pathétique, un récit peut