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son castor. Dire qu’à partir de ce moment-là il eut la conscience tranquille, ce serait mentir effrontément.

Lucien, lui, croyant s’en tirer à assez bon compte avait songé :

Je lui ferai dire des messes.

***

Mais Lucien Gagnon avait beau faire dire des messes, il dépérissait à vue d’œil. Il était devenu maigre comme un clou. Tellement que les villageois trouvèrent outrée la douleur post-mortem de leur maréchal ferrant. Ils ne se gênaient pas d’observer tout haut qu’il avait beau se ronger les sangs à cause de la mort de son ami, ce n’était toujours pas ni sa femme ni son enfant. Il était ridicule enfin !

Lucien, lui, laissait dire, mais ne mangeait plus, ne dormait plus, ne parlait plus. Depuis quinze jours que mon oncle Césaire avait trépassé, l’infortuné n’avait plus qu’une consolation : la jolie Virginie Arcand, sa fiancée. Comme toujours, il allait la voir les dimanches après-midi, les mardis et les jeudis soir. Hélas ! leur bonheur, qui, depuis bientôt trois ans, avait été un ciel d’un rose inaltérable, menaçait de se couvrir. Un grain venait d’apparaître à l’horizon de leurs promesses ensoleillées. Virginie trouvait blessante pour son amour et sa fierté la douleur exagérée de son Lucien. Pourquoi les mardis et les jeudis soir était-il si distrait ? Pourquoi la quittait-il beaucoup plus de bonne heure