Page:Girard - L'Algonquine, 1910.djvu/11

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

Gaston tient son père étroitement serré par le cou.

La terreur est peinte sur ses traits, mais, comme il a promis à son père d’être sage, il n’ose crier.

Cependant, deux larmes coulent le long de ses joues pâles, comme deux grosses gouttes de rosée le long de la corolle d’un lys qui se flétrit.

Enfin, le comte va s’échapper de la mêlée.

Soudain, un gueux, qui paraissait se traîner lamentablement sur deux béquilles, lui assène à la nuque un coup violent, avec un court bâton ferré.

Le comte chancelle.

Lâchant là ses béquilles, le malfaiteur dénoue les bras de l’enfant, et le saisit dans les siens.

Pour étouffer ses cris, il appuie une main sordide sur cette bouche fraîche faite pour le sourire et les baisers.

— Vive le roi ! Vive le roi ! Pas de Mazarin ! crie la foule.

Et le ravisseur se sauve dans les rues tortueuses, étroites, bordées de loin en loin de quelques édifices somptueux, mais dont les vides sont comblés par des baraques de mauvaise apparence, des taudis fangeux, obstruées çà et là d’immondices, de fange, de flaques d’eau corrompues et stagnantes.

Le ciel, tantôt si pur, se couvre, la foudre gronde, et des nuages amoncelés qui se crèvent la pluie tombe en torrents.

Gaston, tête nue, trempé jusqu’aux os, grelotte sous la pluie froide.

Le faux boiteux continue sa course à travers les rues les plus repoussantes, les plus infectes, les plus détournées de Paris.

Il arrive enfin à l’un des quartiers les plus mal construits, les plus hideux et les plus reculés de la ville.

Épuisé, il ralentit sa course. Maintenant, il ne craint plus rien.

Il descend dans la rue Neuve-Saint-Sauveur, entre le cul-de-sac de l’Étoile et les rues de Damiette et des Forges, une longue pente, raboteuse, inégale, tortueuse.

Là est la cour des Miracles, ainsi appelée parce que les prétendus mendiants et les voleurs déposaient en y entrant le costume de leurs rôles respectifs.

Ironie religieuse, lui, pour qui, rien n’était sacré, ni baptême, ni sacrement, ni mariage, il fit une courte prière devant une grande niche, dans laquelle était une image de Dieu le Père, volée dans une église de Paris.

Puis il se glissa dans une maison de boue, à demi entourée, toute chancelante de vétusté et de putréfaction, qui n’avait pas quatre toises carrées, et où étaient entassés cinquante ménages d’une multitude de petits enfants, légitimes, naturels ou volés.

Tout alentour de ce taudis croupissaient plus de cinq cents familles, dans des maisons basses, sombres, faites de terre et de boue. — Toutes ces familles qui se nourrissaient de rapines et de brigandages vivaient dans le crime et le vice. Leur chef appelé Coësre, et leurs capitaines dénommés cagaux ou archi-suppôts, avaient sur eux une autorité suprême.

Là vivaient ensemble les orphelins qui, par groupes de trois ou quatre tremblotants et à demi-nus, parcouraient en mendiant les rues de Paris ; les marcandiers, qui se disaient ruinés par la guerre ; les rifodés, qui exhibaient des certificats comme quoi leurs maisons avaient été brûlées ; les malingreux, qui contrefaisaient les malades ; les capons, qui mendiaient dans les cabarets ; les piètres, qui contrefaisaient les estropiés ; les francs-mitaux et les sabouleux, qui feignaient tomber d’épilepsie ; et encore, les callots, les hubans, les coquillards, les cortaux de boutange, les marpaux, les millards, tous gens de courte épée, ainsi appelés, à cause des ciseaux avec lesquels ils coupaient les bourses que, sous Louis XIV, on avait encore l’orgueil et la folie de porter pendues à la ceinture.

Et c’est dans ce cul-de-sac immense, vaseux, infect, où ni les commissaires de police, ni les huissiers ne pouvaient pénétrer sans s’exposer à des injures ou à la mort, que fut séquestré l’enfant, l’héritier du grand nom et de la fortune du comte d’Yville, dont un aïeul avait le premier illustré son blason aux côtés de saint Louis de France, à la prise de Damiette.