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grâce parfaite de ses membres. Drapant ses formes riches, une robe à frange en peau de daim était coupée à la cheville du pied. Pincée à la taille souple et fine, cette robe dérobait mal une poitrine où l’on soupçonnait la vie courir à flots rapides et bouillonnants, et sur laquelle pendait un collier en porcelaine blanche et violette. Ses pieds, les plus délicatement mignons, étaient chaussés de mocassins en peau de castor, ornés de perles aux couleurs les plus variées.

Et entre ces trois êtres, dans cette chambre chaude et éclairée à la façon d’une peinture de Rembrandt, il se dégageait un magnétisme ambiant qui les attirait l’un à l’autre.

Il y avait là l’enfant des villes et l’enfant des bois qui allaient se disputer l’amour d’un homme dont elles ne connaissaient ni le nom, ni le foyer. Toutes deux, cependant, avec le pressentiment inné et aigu de la femme, savaient qu’il exercerait sur leurs destinées une influence à laquelle elles ne pourraient ni ne voudraient se soustraire.

Par quel caprice du sort, Giovanni, quand il rouvrit les yeux après son long évanouissement, fut-il plus charmé par l’Indienne que par la blanche à la chevelure rayonnante comme une échappée de soleil, par une femme d’une race étrangère, que par une femme de sa race qui avait conquis ce nouveau monde si plein de promesses et de dangers ?

Pourquoi un homme laid et sans fortune est-il aimé par une femme belle et riche ; pourquoi un homme spirituel et d’un physique agréable met-il tout ce qu’il a de plus précieux aux pieds d’un avorton de femme sans esprit, voilà de ces fantaisies du sort qui font que la destinée se subit sans qu’on la puisse combattre.

Johanne avait surpris le long regard d’étonnement, d’admiration, d’amour que Giovanni riva sur l’enfant des forêts. Avec un geste de colère et de dépit, elle ordonna à l’Indienne, en se mordant les lèvres au sang :

— Allez prévenir le docteur Grandpré que je l’attends.

Sans mot dire, l’Indienne disparut légère comme une ombre suivie des yeux par le blessé.

Quand cette dernière fut sortie de la chambre, Johanne se dirigea vers la cheminée. Plaçant derrière la flamme de la bougie sa main qui prit une teinte de rose, elle éteignit la lumière.

Puis, allant à la fenêtre, elle écarta les rideaux de velours gris-bleu.

Le soleil, comme impatient d’avoir été retenu si longtemps, fit irruption dans la pièce.

Ce fut une pluie d’or qui se glissa dans les moindres recoins.

L’astre magnifique, qui montait derrière la draperie verdoyante de l’Île d’Orléans, mit un rayon d’espérance et de joie dans le cœur de Johanne, où, tout à l’heure, il y avait de la colère et de la tristesse.

Mais cette réaction fut de courte durée.

En attendant l’arrivée du médecin, qui devait être à causer avec le baron de Castelnay, Johanne, l’âme remplie d’appréhensions dont elle ne pouvait se rendre compte, contempla, tristement, le superbe panorama qui se déroulait devant elle.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

— Oh ! oh ! déjà debout, mademoiselle de Castelnay. Vous êtes matinale comme une jolie fauvette.

Johanne se retourna vivement.

Le docteur Grandpré, célibataire, bien qu’il comptât aujourd’hui plus de soixante-cinq ans, n’en avait pas moins conservé cette délicieuse galanterie qui a fait de la France le pays le plus policé du monde.

Il portait une redingote et des culottes de drap noir, des bas en soie de même couleur, et des souliers à larges boucles d’argent. Un gilet de satin blanc, parsemé de petites fleurs myosotis, corrigeait avec la cravate blanche la note trop sombre de ce costume.

Bien qu’il eût la bouche large, comme fendue accidentellement d’un violent coup de couteau, les yeux larmoyants et verrons, le nez camard, les oreilles en contrevent, les cheveux rasés et lisses, et les jambes grêles, le docteur Grandpré, par un prodige de la nature, portait beau son âge et sa laideur.

— Ah, docteur, répondit Johanne, en tirant sa plus gracieuse révérence, pourquoi n’êtes-vous pas médecin de Versailles, vous y feriez fureur par votre galanterie.