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tribu des Anniehronnons, qui les firent prisonniers. Ces derniers, dans l’espoir d’échapper aux tourments qui les attendaient, dévoilèrent la situation des Français aux Trois-Rivières et la direction prise par les Algonquins, partis depuis quelques jours pour la grande chasse.

C’était le samedi saint. La plupart des Français étaient réunis en prières à l’église. Les Iroquois, payant d’audace, vont piller trois ou quatre maisons écartées de quelques arpents des bastions et des courtines de la ville naissante. Ils font main basse sur tout ce qu’ils peuvent trouver : couvertures, vêtements, plomb, poudre, arquebuses, et autres choses semblables.

Après cet exploit, ils se retirent en toute hâte dans l’épaisseur de la forêt, où ils cachent le fruit de leur pillage.

Mais cet acte de brigandage ne satisfait pas l’Iroquois, chasseur d’hommes, qui regarde ce butin comme une bien maigre pitance.

Ils se divisèrent donc en deux bandes pour s’élancer à la poursuite des Algonquins qui faisaient la chasse, les uns du côté nord, les autres, du côté sud du fleuve Saint-Laurent.

La bande de la rive nord trouva facilement les chasseurs, en suivant leurs pistes sur la neige qui n’était pas encore toute fondue, à cause de l’épaisseur du bois qui interceptait les rayons du soleil.

Ils tombèrent comme un coup de foudre sur les tentes des Algonquins. Ils n’y trouvèrent que des femmes et des enfants. Tous les hommes étaient partis pour la chasse. Pas une femme, pas un enfant n’a le temps ni de se reconnaître, ni de s’enfuir. L’ennemi ne laisse aucun d’eux s’échapper. Trois Iroquois sont préposés à leur garde, et quinze autres partent à la recherche des hommes.

Jérôme Tessouehat, chef des Algonquins des Trois-Rivières, s’en revenait sans défiance, l’arc passé en bandoulière en travers de son corps huileux à demi-nu et son carquois vide de flèches. Sa fille Oroboa, âgée de dix-sept printemps, marchait à ses côtés, gracieuse et légère comme une biche.

La réputation de bravoure et de farouche audace de Tessouehat était reconnue au loin. Ses ennemis avaient laissé entre ses mains quantités de chevelures. Son carquois ne contenait plus de flèches, mais à sa ceinture pendaient un long couteau à la lame étincelante et un tomahawk en pierre. De toute nécessité, il fallait s’emparer sans combat du chef algonquin, car une lutte ouverte avec Tessouehat signifiait la mort certaine de plusieurs d’entre eux.

Ils s’avancent donc vers lui avec de grandes manifestations de joie, sans porter la main à leurs armes. Tessouehat, assuré que ces Indiens venaient à lui en amis, entonna sa chanson de paix.

Il chantait encore, qu’un Iroquois, s’étant glissé en arrière, lui plongea traîtreusement son épée dans les reins. La chanson commencée se termina dans un râle d’agonie. Transpercé, il battit l’air de ses bras, et tomba la face contre le sol.

Tous aussitôt poussèrent des hurlements de joie et leur cri de guerre. Oroboa se jette éperdue sur le corps sanglant de son père, tandis qu’un Indien scalpe le cadavre.

Un autre allait faire subir le même sort à Oroboa, quand un jeune Iroquois, l’œil enflammé par la passion, arrête le bras armé du couteau fatal.

D’une voix colère, il commande qu’on épargne la jeune squaw. Il réclame l’Algonquine pour son esclave et déclare qu’il en fera l’ornement de son wigwam. Oroboa demande la mort à grands cris.

— Lâches, s’écrie-t-elle, lâches, vous tous dont le cœur n’est pas digne d’être donné en pâture aux chiens, tuez-moi donc ! Vous, les rejetons horribles d’okadi, vous dont les pères captifs ont dû supplier avec larmes leurs vainqueurs de leur épargner les tortures du bûcher, tuez-moi ! Vous, qui frappez un homme en arrière, par crainte de le combattre en face, vous ne chanterez jamais la chanson de mort. Pas un de vous n’est digne de chausser les mocassins de la plus dégradée de vos squaws. Vous n’êtes bon qu’à charroyer l’eau et à faire le feu de vos wigwams !…

Et au comble de la douleur et du désespoir, la jeune Indienne ajouta :