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Une pauvre mère voit son fils blessé à la cuisse d’un coup de poignard. Comme le jeune Indien ne peut marcher, elle l’enveloppe sur un traîneau, et s’attelant à ce traîneau, elle suit les ennemis chargés de prisonniers et de dépouilles. Son fils est peut-être réservé à des tortures inouïes, mais n’importe, il faut lui épargner une mort certaine. Son cœur maternel lui fait espérer que plus tard il échappera au supplice, grâce à des circonstances imprévues.

Soudain, on entend des cris de joie qui ressemblent plus à des rugissements de bêtes fauves dans les déserts de l’Amérique. Ce sont les barbares qui ont massacré la première bande d’Algonquins et qui reviennent en triomphe avec leurs captifs et Oroboa.

Les Algonquins s’aperçoivent alors que leur malheur est complet. Les femmes et les enfants fendent l’air de leurs gémissements. Mornes et sombres, les guerriers captifs se regardent avec angoisse et désespoir.

Alors Oroboa se lève.

La figure sereine, la contenance noble et fière, elle est belle comme une nuit d’été resplendissante de myriades d’étoiles.

D’une voix qui descend en leurs âmes tristes comme une pluie rafraîchissante sur les sables brûlants des solitudes, elle dit :

— Fils d’une race de guerriers fameux, qui avez remporté autant de victoires qu’il y a d’arbres dans ces bois, qui avez scalpé autant de chevelures que vous avez eu d’ennemis à combattre, ne vous laissez pas abattre parce qu’un lâche ennemi vous a défait par surprise. Allons ! ne vous donnez pas en spectacle à vos vainqueurs. La vie est courte, et le royaume du Grand-Manitou, éternel. Debouts, vaillants guerriers, chantez avec joie et orgueil votre chant de mort. Montrez que la plus humble des squaws des Algonquins a plus de cœur et de courage que le premier des guerriers iroquois. Levez les yeux au ciel et priez le Grand-Manitou de vous pardonner vos fautes. Si vous êtes condamnés aux supplices, que les enfants de vos enfants proclament, en apprenant à lancer la flèche et le tomahawk, que les Algonquins n’ont jamais frémi devant la mort, et qu’ils ont subi les plus grandes tortures en chantant, avec courage le chant de mort !

Tous, alors, se mettent à chanter pour montrer à Oroboa qu’ils ne craignent pas la mort. La cadence de leur chant, désagréable comme tout chant sauvage, finit par les aspirations réitérées de : oh ! oh ! oh ! ah ! ah ! ah ! hem ! hem ! hem !

Il était trop tard, pour que les vainqueurs reprissent le chemin de leur bourgade où les prisonniers devaient subir les derniers supplices. La nuit était descendue sur les bois. Ils allumèrent un grand feu.

Ouvrons ici une parenthèse historique pour rappeler que le fusil des Indiens n’était pas ce morceau d’acier que l’on frappe sur un caillou, pour faire jaillir des étincelles et allumer ainsi un morceau d’amadou.

Ils avaient généralement pour mèche la peau d’une cuisse d’aigle, avec le duvet, qui prend feu facilement. Ils frappaient l’une contre l’autre deux pierres de mines, comme faisaient les Français d’une pierre à fusil, avec un morceau de fer ou d’acier. Le tondre, bois pourri et bien séché, s’étant allumé au jaillissement des étincelles, ils le mettaient dans de l’écorce de cèdre pulvérisée. Enfin, ils soufflaient doucement sur le tondre, et l’écorce s’enflammait aussitôt.

Les Iroquois ne purent remettre au lendemain le plaisir de torturer quelques-uns de leurs prisonniers.

D’abord, tous les ongles furent arrachés. On commençait toujours par ce tourment. Nombre de captifs furent ensuite brûlés à demi. D’autres subirent le supplice du couteau et des bâtons pointus. Des femmes furent exposées toutes nues à la risée du vainqueur.

Détail horrible, un enfant de quatre ans fut crucifié à un gros arbre, ses bourreaux ayant percé ses petits pieds de bâtons pointus, tandis qu’il perdait connaissance, sous la force des douleurs.

Oroboa, seule, n’avait encore reçu le moindre mauvais traitement. La passion que le jeune guerrier Iroquois avait conçue pour elle la protégeait comme un bouclier impénétrable.