Page:Girard - L'Algonquine, 1910.djvu/64

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

Un soir, il y avait un mois que tu étais disparu, j’arrive chez moi rompu de fatigue et de douleur.

Je me rends au chevet de ta pauvre mère… je lui parle… Elle ne répond pas… Je lui prends la main… Cette main est froide… J’applique mon oreille contre son cœur… Il a cessé de battre…

Alors, je pousse un cri déchirant, et je m’évanouis en travers du corps de la morte…

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Gaston d’Yville laisse couler librement ses larmes, et son père, baissant la tête, garde quelques instants un religieux silence.

La grotte se refroidit, la pluie tombe toujours avec force, et les ténèbres du soir commencent à envelopper la terre.

Daim-Léger se lève pour ranimer les flammes presque éteintes, qui, sous l’entassement de broussailles sèches, s’élèvent en crépitant.

Un formidable coup de tonnerre secoue la forêt, et un pin géant, à quelques pieds de la caverne, est fendu de haut en bas par une ligne de feu.

Le comte d’Yville et son fils, non habitués à ces tempêtes grandioses au sein des forêts épaisses de l’Amérique, ont tressailli. Daim-Léger et l’Algonquine ont retourné simplement la tête sans manifester aucun signe de frayeur.

Le comte d’Yville reprend son récit :

Dégoûté de la vie, ne prenant plus d’intérêt à rien, n’ayant plus qu’une idée fixe : retrouver mon fils, je poursuivis mes recherches durant un an.

Peine inutile. Alors, désespérant de ne jamais te revoir, je pris la résolution de quitter cette terre qui m’avait vu heureux un jour, et je ne songeai plus qu’à me défaire d’une vie qui m’était devenue odieuse et insupportable.

Je ne voulus pas, toutefois, mourir en lâche, mais en vrai fils de la France.

Je sollicitai une commission du roi pour les guerres de la Nouvelle-France, où j’espérais tomber les armes à la main pour le triomphe de la foi et de la patrie.

La mort, bien que j’aie reçu de dangereuses blessures qui m’ont maintes fois mis aux portes du tombeau, n’a pas voulu de moi.

J’en rends grâce aujourd’hui à la Providence, dont les desseins sont impénétrables, puisque, après tant d’années de souffrances, elle te jette dans mes bras !…

À ces mots, le comte d’Yville attira vers lui la tête de Gaston, et déposa sur son front un long baiser.

— Mais, demanda Gaston, d’une voix émue, comment se fait-il, monsieur le comte, que vous soyez si sûr aujourd’hui, d’avoir retrouvé votre fils, puisque vous ne m’avez pas reconnu la première fois que vous me vîtes à Québec ?

— Il est vrai, mon cher enfant, que je ne t’ai pas reconnu ce jour-là, bien que mon cœur m’eût crié que tu étais de mon sang.

Aujourd’hui, j’en ai une preuve irrécusable. Cet Indien, en entr’ouvrant ta chemise pour s’assurer s’il y avait dans ta poitrine un reste de vie, m’a laissé voir la cicatrice d’une blessure que tu t’es faite enfant.

Un jour que tu trottinais avec des ciseaux dont tu t’étais emparé à notre insu, tu tombas, et la pointe de l’instrument pénétra dans les chairs tendres, t’infligeant une blessure cruelle. Nous craignîmes pour tes jours, mais grâce à Dieu, tu guéris. C’est cette cicatrice que tu portes au sein gauche qui m’a confirmé dans ce que mon amour de père m’avait crié : que tu es mon fils adoré.

Mais, voyons ! continua le comte haletant, réunis bien tes souvenirs. Ne te rappelles-tu pas qu’un jour tu es allé sur un grand pont avec un homme qui te tenait par la main, et qui te prit dans ses bras, la foule s’étant ameutée.

Gaston réfléchit. Ses sourcils se sont arqués et son front s’est plissé avec la tension d’esprit d’un homme qui cherche à rassembler ses souvenirs.

Il s’écrie :

— Oui, oui, je me souviens, à présent… Nous sommes assis devant une cheminée… Même, je me rap-