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La voile gonflée nous faisait comme une espèce de tente et nous isolait complétement de nos compagnons. La vertu de Louise, séparée de son chaperon par une frêle toile qui palpitait au vent, n’avait donc aucune inquiétude à concevoir, et, se sentant protégée, elle était plus libre ; dans les commencements d’un amour, la présence d’un tiers est souvent favorable. La femme la plus prude accorde certaines faveurs légères, quand elle est sûre qu’on ne pourra pas en abuser.

L’eau filait de chaque côté du taille-lame et nous entourait de franges d’argent bientôt évanouies en globules dans le remous de notre sillage. Louise avait défait son gant et laissait tremper sa main au courant qui jaillissait en cascades de cristal à travers ses doigts d’ivoire : sa robe, dont elle avait ramassé autour d’elle les plis lutinés par la brise, sculptait sa beauté d’une étreinte plus étroite. Quelques-unes de ces petites fleurs des champs qui n’ont que trois ou quatre pétales inquiets s’effeuillaient sur son chapeau dont la paille traversée par un vif éclat de soleil lui formait comme une espèce d’auréole. — Moi j’étais à ses pieds, l’enveloppant de mon regard comme d’un baiser, la noyant d’effluves et d’irradiations magnétiques, lui faisant une atmosphère de mon amour, l’entourant de ma volonté ! J’appelais à moi toutes les puissances de mon âme et de mon esprit pour faire naître dans son cœur l’idée de m’aimer et d’être à moi !

Je me disais tout bas « Venez à mon aide, forces secrètes de la nature, printemps, jeunesse, parfums, rayons ! Vent chargé de langueur, inonde sa poitrine d’un souffle tiède ; fleurs en amour, enivrez-la de vos aromes pénétrants ; soleil, verse sur elle ta flamme féconde ; mêle ton or fluide à la pourpre de son sang ; que tout ce qui vit, palpite et désire, envoie à mon secours une parcelle ignée, que tout lui chuchotte à l’oreille qu’elle est belle, qu’elle a vingt ans, que je suis jeune et que je l’aime ! » — Faut-il des tirades poétiques et des déclamations romanesques