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bout des cheminées du bourg des Andelys, couché au pied de la montagne ; un son argentin de cloches, sonnant l’angelus, nous arrivait par bouffées ; l’étoile de Vénus brillait d’un éclat doux et pur dans un coin limpide du ciel. Madame Taverneau ne nous avait pas encore rejoints, les agréments d’Alfred lui faisaient oublier sa compagne.

Louise, inquiète d’être séparée si longtemps de son chaperon, se pencha sur le bord de la meurtrière. Une pierre qui n’attendait, pour se détacher, que le poids d’une hirondelle fatiguée, roula sous le pied de Louise, qui se jeta tout effrayée contre ma poitrine ; mes bras se refermèrent sur elle, et je la tins quelques instants près de mon cœur. Elle était fort pâle ; sa tête fléchissait en arrière ; le vertige des hauts lieux s’était emparé d’elle.

— Ne me laissez pas tomber, la tête me tourne !

— N’ayez pas peur, lui répondis-je ; je vous tiens, et l’esprit du gouffre ne vous aura pas.

— Ouf ! Quelle diable d’idée de grimper comme des chats sur ce vieux tas de pierres, s’écria Alfred qui arrivait enfin, traînant à la remorque madame Taverneau, faisant l’effet, dans son châle, d’un coquelicot dans les blés. Nous sortîmes de la tour et nous regagnâmes le canot. Louise me jeta un regard humide et triste, et s’assit à côté de madame Taverneau. Un bateau remorqueur descendait la rivière ; nous le hélâmes, il nous jeta une corde, et quelques heures après nous étions à Pont-de-l’Arche.

Voici le récit de mon expédition, c’est peu de chose, et c’est beaucoup. J’en ai fait assez pour être sûr que j’agis sur Louise, que mon regard la fascine, que ma parole l’émeut, que mon contact la trouble ; je l’ai tenue un instant palpitante contre mon sein ; elle ne m’a pas repoussé. Il est vrai que, par un petit jésuitisme féminin assez commun, elle peut mettre cela sur le compte du vertige, sorte de vertige de la jeunesse et de l’amour, qui a plus fait tourner de têtes que tous les précipices du Mont-Blanc !

Quelle singulière personne que cette Louise ! C’est un