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quets ; de grâce, épargnez-moi les soucis dont le cruel Étienne emplit ma demeure ; je n’ai de confiance qu’en vous. » Je souris, comme il convenait, de ce jeu de mots que je connaissais déjà, et je promis de surveiller moi-même le grand travail des bouquets.

J’allai rejoindre Étienne dans le jardin, je le trouvai occupé à cueillir des soucis, encore des soucis, toujours des soucis. Je jetai un coup d’œil sur les planches de son parterre, et je compris bientôt d’où venait sa prédilection obstinée pour cette atroce fleur. C’était la seule qui eût daigné s’épanouir dans son jardin mélancolique. Ceci est le secret de bien des préférences inexpliquées. Je pensai avec horreur que madame de Meilhan allait se dire encore en proie aux soucis. Ah ! Étienne, m’écriai-je, quel dommage ! vous les cueillez tous ; ils font un si bel effet dans un parterre. Allons plutôt chercher là-bas d’autres fleurs, ne dégarnissez pas vos jolies corbeilles. Étienne, visiblement flatté, me suivit avec empressement ; je le conduisis dans un charmant endroit du jardin où j’avais admiré des catalpas superbes tout en fleurs. Il en cueillit de grandes branches, plus hautes que moi, et bientôt ces larges rameaux, distribués avec art dans les vases du Japon qui ornent la cheminée et l’angle des murs du salon, changèrent ce salon en un mystérieux bosquet de verdure. J’y joignis force roses du Bengale, quelques dahlias échappés à la culture d’Étienne ; quelques asters, et, je l’avoue, quelques soucis, et j’admirai mon ouvrage ; on disait : Cela ressemble à un reposoir ; j’étais fière de mon succès. Mais pour le bouquet favori, pour le joli vase en verre de Bohême qui orne la table ronde, il fallait des fleurs plus précieuses, plus prétentieuses, du moins ; je pris courageusement mon parti, et j’allai de mon pas léger à une lieue du château chez un vieil horticulteur qui m’adore ; c’est un ami de madame Taverneau. Le bonhomme me reçut avec joie ; je lui racontai la situation affreuse de madame de Meilhan ; je répétai son bon mot