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ceinture trop élégante, je nouai autour de ma taille un mauvais ruban lilas que j’avais déjà mis, et je descendis dans le salon où tout le monde était réuni.

La première personne que j’aperçus en entrant, c’est ce même jeune homme que je venais de rencontrer. Sa vue me déconcerta un peu. « Ah ! vous voilà, me dit madame de Meilhan, nous parlions de vous. » Heureusement ces mots expliquèrent mon embarras. Elle ajouta : « Je veux vous présenter mon cher don Quichotte. » Je tournai la tête du côté de la salle de billard où Edgard était avec d’autres personnes, pensant que don Quichotte était de ce côté ; mais madame de Meilhan, nommant M. de Villiers, amena vers moi le jeune homme de la cascade : c’était lui don Quichotte. Il m’adressa quelques phrases de politesse, mais cette fois il m’appela madame, et en prononçant ce mot il avait dans la voix un accent de tristesse dont je fus profondément touchée, et il me regardait avec intérêt, et ce regard que je n’oublierai jamais voulait dire : Je sais maintenant qui vous êtes, je sais que vous êtes malheureuse ; je trouve que ces malheurs sont une odieuse injustice, et j’ai pour vous la plus tendre pitié.

Je vous assure, Valentine, que son regard voulait dire tout cela et beaucoup d’autres choses encore que je vous épargne ; ce serait trop long.

Madame de Meilhan étant venue me parler, il alla rejoindre Edgard.

— Comment la trouves-tu ? lui demanda Edgard qui ne savait pas que je l’écoutais.

— Très-belle.

— C’est une dame de compagnie que ma mère a prise avec elle, en attendant que je me marie.

Le sens caché de cette plaisanterie révolta M. de Villiers ; il jeta sur son ami un regard dédaigneux et dur qui cette fois encore voulait dire très-clairement : Le misérable fat ! Je crois même que ce regard signifiait en-