Page:Girardin-Gautier-Sandeau-Mery - La Croix de Berny.djvu/199

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

douces clartés que nous jetaient les étoiles naissantes dans les cieux.

Il fallut rentrer dans le salon ; j’étais assise à côté de la table ronde, lorsque Edgard vint près de moi. — Qu’avez-vous, ce soir ? me dit-il ; vous paraissez souffrante. — J’ai eu un peu froid. — Quel ennuyeux général, continua-t-il, il me prend toute ma soirée… C’est très-dur à amuser, un général… ennuyeux.

J’ai oublié de vous dire qu’il y avait là un général.

— Raymond… vous devriez bien, à votre tour, m’aider à tenir éveillé ce guerrier. — M. de Villiers s’approcha de la table près de laquelle nous étions ; il aperçut alors dans le vase de Bohême le bouquet que j’avais apporté… — Ah ! dit-il d’une voix émue, je connais ces fleurs-là. — Il me regarda et je rougis. — Moi aussi, reprit Edgard, qui ne pouvait comprendre le sens de ces mots, et désignant les plus belles fleurs du bouquet, je les connais : ce sont les fleurs du pelargonium diadematum coccineum.

À cet affreux nom je me récriai. Du pelargonium diadematum coccineum ! répéta tout bas M. de Villiers avec le sourire le plus spirituel et le plus gracieux. Oh ! ce n’est pas du tout ça que j’ai voulu dire. Il fallut bien le regarder à mon tour et rire de complicité avec lui ; mais aussi pourquoi Edgard est-il un savant ?

Je suis bien enfant, n’est-ce pas, de vous raconter toutes ces niaiseries, mais les moindres détails de cette journée sont précieux pour moi. Vers minuit on se sépara ; je me retrouvai seule avec bonheur. L’émotion que j’éprouvais était si vive que j’avais hâte de l’emporter loin du monde et même loin de celui qui la causait. Je voulais m’interroger dans le recueillement. D’où me venait tant de trouble ? Nul événement ne s’était passé ce jour-là, nulle parole sérieuse d’engagement et d’avenir n’avait été prononcée, et cependant ma vie était changée… mon cœur toujours si calme était agité et brûlant, ma pensée toujours si inquiète était fixée ; et qui donc avait ainsi changé mon