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beau qui éclaire les ténèbres de notre avenir. C’est le pressentiment.

Lisez-moi avec attention, et en lisant ne vous préoccupez pas de la fin. Il faut que je vous explique d’abord par quel procédé d’observation j’ai été amené à faire ma découverte. La fin viendra, mais à sa place naturelle, qui ne peut pas être au commencement.

Voici donc ce que j’ai vu au château de Richeport. Vous ne l’avez pas vu, parce que vous étiez acteur ; j’étais spectateur, moi… J’avais donc sur vous l’avantage de ma position.

Nous étions tous les trois dans le salon, vous, Edgard, et moi, entre midi et deux heures. C’est le moment où la causerie de campagne s’abrite de persiennes ou d’arbres touffus. On est toujours triste, rêveur, recueilli, à cette phase d’un beau jour d’été. On parle nonchalamment d’une chose indifférente, et on pense avec ardeur à une chose aimée. Ce sont là les mystères de ce démon de midi, tant redouté du poète-roi.

Il y avait, dans un angle, une petite table de bois de rose, légère et polie comme la main d’une femme. Le poing d’un homme la briserait en s’y appuyant. Sur la table, un pan de broderie, retenu par le pied de cristal d’un vase de fleurs. Au panneau de mur de cet angle, il y a une gravure du beau tableau de Camille Roqueplan : la Jeune Fille blonde qui coupe les griffes d’un lion. Entre la cheminée et la fenêtre, le piano était ouvert, et abandonné, depuis fort peu de temps, par une femme ; car le petit siége, à demi-renversé par le mouvement brusque d’une robe, avait été préservé d’une chute totale par le bras du fauteuil voisin, et la partition du pupitre s’ouvrait sur un air de soprano, des Puritains :

Vien diletto, in ciel e luna,
Tutto tace intorno…

Vous allez voir comment, d’induction en induction, j’arrive à la vérité.