Page:Girardin-Gautier-Sandeau-Mery - La Croix de Berny.djvu/228

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votre départ un homme très-aimable, célèbre par son esprit, un voyageur, le prince de Monbert… En disant cela, il croyait parler de choses indifférentes. Eh ! mon Dieu ! cela se trouvait être juste ; Roger m’intéressait bien peu dans ce moment. J’attendais toujours un mot d’avenir, une espérance jetée dans ma vie, un regard pareil à ces regards si tendres qui m’avaient donné tant de joie… Mais il évitait toute allusion à notre situation passée ; il fuyait mes regards avec autant de soin qu’autrefois il les cherchait… J’étais épouvantée ; je ne le comprenais plus ; je tournais la tête naïvement derrière nous pour voir s’il n’y avait pas là quelqu’un pour nous espionner, tant je le trouvais différent de lui même… Chose étrange ! J’étais seule avec lui ; mais lui n’était pas seul avec moi ; il y avait un tiers entre nous, un être invisible pour moi qu’il entrevoyait, lui, et qui semblait dicter ses paroles et inspirer sa conduite.

Resterez-vous longtemps à Paris ? lui ai-je demandé tremblante et découragée. Je ne sais pas encore, madame, me répondit-il. Irritée par ce mystère, j’eus un moment l’idée de lui dire : J’espère, si vous restez à Paris quelque temps, que j’aurai le plaisir de vous voir chez ma cousine, la duchesse de Langeac, et je lui aurais raconté toute mon histoire ; j’étais ennuyée de jouer un rôle d’aventurière avec lui… ; mais il paraissait si préoccupé, il m’écoutait si mal, il semblait repousser si froidement mes affectueuses instances, que je n’eus pas le courage de lui dire la vérité : il n’y avait pas moyen de hasarder une confidence avec un tel indifférent ! Une seule chose me consolait un peu, c’est qu’il paraissait profondément triste, et puis, enfin, il était venu, non pas pour moi, mais pour lui-même ; rien ne l’obligeait à me faire cette visite ; s’il était venu, c’est qu’il avait eu besoin de me voir. Tant qu’il est resté là près de moi, malgré cette anxiété affreuse où me plongeait son inexplicable indifférence, j’ai eu quelque espoir, je croyais qu’il y aurait dans ses adieux un mot sur lequel je pourrais vivre jus-