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désormais que Sidi-Mahmoud, fit tendre dans sa chambre des tapis de Perse, disposer des piles de carreaux, matelasser les murs jusqu’à hauteur d’appui et jeter des parfums dans des cassolettes ; trois ou quatre musiciens de couleur sombre prirent place dans un coin avec des taraboucks, des rabebs et des guzlas ; — puis une Éthiopienne nue jusqu’à la ceinture, les hanches bridées par un pagne étroit, nous servit la précieuse drogue sur un plateau de laque rouge.

J’avalai par complaisance quelques cuillerées de cette confiture verdâtre où je ne démêlai d’abord d’autres saveurs que celles du miel et de la pistache. J’avais revêtu, — car Granson est un de ces fous opiniâtres de qui on ne peut se débarrasser qu’en leur cédant, — un costume anatolien d’une richesse fabuleuse, mon ami prétendant que lorsqu’on montait au paradis il ne fallait pas être gêné par les entournures de ses manches.

Au bout de quelques instants, j’éprouvai à l’estomac une légère chaleur, mon corps jetait des étincelles et brûlait comme un billet de banque à la flamme d’une bougie ; je n’étais plus soumis à aucune loi de la matière : pesanteur, épaisseur, opacité, tout avait disparu. J’avais gardé ma forme, mais une forme aromale, diaphane, flexible, fluide, les obstacles me traversaient sans me causer de douleur ; selon la place que je voulais occuper, je m’agrandissais ou je me rapetissais. Ma volonté suffisait pour me transporter instantanément d’un endroit à un autre. J’étais dans un monde impossible, éclairé par une lueur de grotte d’azur, au milieu d’un bouquet de feu d’artifice composé de gerbes sans cesse renaissantes, de fleurs lumineuses aux feuillages d’or et d’argent, aux calices de diamant, de rubis et de saphirs ; des jets d’eau, faits de rayons de lune en fusion, tombaient, en grésillant, sur des vasques de cristal qui chantaient avec une voix d’harmonica toutes les mélodies qu’auraient dû faire les grands musiciens. — Une symphonie de parfums suivit ce premier enchante-