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XXXI


À MADAME
MADAME LA VICOMTESSE DE BRAIMES
HÔTEL DE LA PRÉFECTURE,
À GRENOBLE (ISÈRE).


Paris, 30 juillet 18…

Bienfait et bénédiction ! Je l’ai retrouvée, c’est elle ! Après l’avoir ouvert à ma tristesse, madame, ouvrez votre cœur à ma joie. Oubliez un malheureux qui jeta vers vous, voilà quelques jours, un cri de douleur, et qui, hier encore, s’abandonnait lui-même, ayant dit à l’espérance un éternel adieu. Cet infortuné a cessé d’exister ; il a fait place à un jeune être ivre d’amour, et pour qui la vie n’a plus que des caresses et des enchantements. D’où vient cependant que mon âme, qui devrait s’exhaler en hymnes d’allégresse, est grave et recueillie ? Serait-ce que l’homme n’est point fait pour les grandes félicités, ou que le bonheur est naturellement triste, moins près du rire que des larmes, parce qu’il a le sentiment de sa fragilité et l’instinct d’une expiation prochaine ?

Après avoir cherché vainement mademoiselle de Châteaudun dans les murs de Rouen, M. de Monbert s’étant décidé, sur je ne sais quelle indication, à l’aller demander aux vieux châteaux de la Bretagne, ma douleur, qui avait besoin de se repaître d’elle-même, me donna le lâche conseil de ne le point accompagner. Le fait est que je ne lui pouvais être d’aucun secours dans ses perquisitions. J’avais cru remarquer d’ailleurs que ma présence le gênait. À vrai dire, nous nous gênions mutuellement. Tout cœur qui souffre se croit volontiers le centre du monde et n’admet pas qu’il puisse exister sous le ciel une autre douleur que la sienne. Je laissai donc partir le prince, et pris de mon côté la route de Paris. Un dernier espoir me restait je me disais que si Louise n’aimait pas M. de Meilhan, elle avait dû quitter Richeport en même temps que moi.

Je descendis à Pont-de-l’Arche, et j’allai rôder, comme