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toute sa fortune pour sauver l’honneur d’un de ses amis, M. Frédéric B… Oh ! comme j’ai pleuré en écoutant ce touchant récit, plein de grandeur naïve, de simplicité sublime, d’insouciance généreuse ; cette histoire m’aurait fait l’adorer, si je ne l’avais aimé déjà follement ; tout le temps qu’il me la racontait, je pensais à la femme de ce malheureux Frédéric, à ses inquiétudes, à ses tortures d’épouse et de mère, quand elle a cru son mari perdu, ses enfants ruinés… à son étonnement, à sa joie enivrante, quand elle les a vus sauvés tous, à sa reconnaissance profonde, éternelle ! et je n’avais qu’une idée, je me disais : Que je voudrais connaître cette femme, pour parler de Raymond avec elle !

Je voulus, à mon tour, lui raconter mon histoire, il refusa de l’entendre ; je n’insistai pas. D’ailleurs, je voulais me montrer généreuse, et lui laisser pendant quelque temps encore la croyance que j’étais humble et misérable. Il était si heureux de penser qu’il allait m’ennoblir et m’enrichir… Je n’avais pas le courage de le désenchanter.

Cependant, hier, il a bien fallu tout lui dire : dans son impatience à hâter notre mariage, il s’occupe toute la matinée d’affaires, d’actes, de contrats ; depuis deux jours il me tourmentait pour avoir mes papiers de famille, afin de les mettre en ordre et de trouver mon acte de naissance, indispensable pour se présenter à la mairie ; je remettais toujours au lendemain pour le lui donner ; mais hier, il a pris sa voix la plus douce, c’est son ton de commandement, il a fallu obéir. Pour le préparer à la terrible surprise, je lui ai dit que ces papiers étaient dans mon secrétaire dans ma chambre, et je l’ai prié de venir les chercher avec moi.

À l’aspect de ces grands portraits de famille qui couvrent les murs de cette petite cellule du haut jusqu’en bas, il s’est arrêté stupéfait, épouvanté, et il les a examinés avec inquiétude. Sur quelques-uns de ces portraits, on lit le nom et le titre de l’illustre personnage qu’ils re-