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que, vous ne serez pas longtemps madame de Villiers ; un prompt veuvage vous permettra de recommencer vos manéges. Je regrette de vous frapper à travers un autre, car vous avez mérité la mort.

Edgard de Meilhan.


XXXVI


À MONSIEUR
MONSIEUR LE COMTE DE VILLIERS
AU CHÂTEAU DE VILLIERS (CREUSE).


16 août 18…
Monsieur,

Ce matin, à mon lever, je suis bien aise de vous envoyer, en forme d’apologue, une anecdote, dont vous pouvez retirer quelque profit.

J’ai rencontré dans mes voyages un homme estimable. C’était un créole de la colonie du Port-Natal : il avait nom Smollett !

J’allais quelquefois en chasse du côté de son habitation : je lui demandai même deux fois l’hospitalité. Il me reçut d’une façon équivoque, m’admit à sa table, me parla peu, me servit du vin de Constance, refusa ma main que je lui présentai, et me donna son lit.

Du Port-Natal j’écrivis à ce sauvage deux billets de remercîments, avec cette formule : Mon cher ami. Je ne pouvais lui donner, en lui écrivant, un titre de noblesse, je lui donnais un titre d’affection : Mon cher ami.

Il ne répondit pas à mes deux billets. Au fond, je ne demandais rien ; il n’y avait donc rien à répondre.

Ayant rencontré un soir le créole Smollett sous les arbres de l’avenue occidentale du Port-Natal, je l’abordai affectueusement, et je lui tendis les mains. Encore une fois, mes mains ne doublèrent pas les siennes. Je fis un mouvement de dépit.

« Monsieur, me dit le sauvage, vous me paraissez un bon enfant, un jeune homme sincère, et très-peu européen. Il faut donc vous éclairer dans votre candeur.