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monde, de la beauté de mademoiselle de Châteaudun ; le hasard m’avait fourni l’occasion naturelle d’aller voir ce phénomène de plus près. L’inconnue n’avait rien perdu à se faire connaître. Elle était revêtue de cette suprême grâce de sourire et de regard qui appelle, retient et ne permet plus d’oublier. Elle avait parlé fort peu ; mais il était aisé de comprendre, à la tranquillité superbe de son attitude et à l’expression intelligente de ses yeux, qu’elle possédait en elle un trésor d’esprit et d’idées tout prêt à être prodigué sur une scène plus vaste qu’une loge d’opéra.

Dans l’irradiation éblouissante qui environnait cette jeune femme et qui m’avait laissé le choix de deux rôles, le silence stupide et admirateur ou le vagabondage étourdi de la parole, je n’avais vu passer qu’un seul nuage, et ce nuage avait un instant éclipsé tant de charmes, et fait descendre la divinité du haut de son piédestal sur l’humide pavé de Paris !

Irène était une héritière ! C’était la duchesse qui avait coupé les ailes de l’ange avec ce mot de tabellion. Une héritière ! Eh ! que m’importait cela ? Une héritière ! une adorable forme toute de poésie et d’amour, déposée sur une table de notaire, dans un assortiment de chiffons de banque et de sordides pièces d’or ! Une héritière !… Un jour de fête au paradis, un jour d’amnistie aux hommes, Dieu a pris cette jeune fille, il lui a donné cette couronne de cheveux, ce front découpé sur un modèle de séraphin, ces yeux dont les rayons semblent purifier la terre, ces grâces de visage, cette exquise ciselure d’épaules et de bras, cet ensemble idéal que l’artiste rêve et que la réalité lui montre un jour… Ce chef-d’œuvre vivant de l’atelier divin est mis aux enchères !… Sonnez, clairons des huissiers ! Voici une héritière, messieurs ! donnez du papier timbré ! Avancez-vous, acquéreurs !