Page:Girardin-Gautier-Sandeau-Mery - La Croix de Berny.djvu/55

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par tous les soleils, je l’ai vue partout surgir à mes côtés. Pour la fuir, je me suis enfui ; j’ai pris la poste et la route de la Toscane. Je l’ai retrouvée au pied de la cascade de Terni, au tombeau de saint François d’Assise, sous la porte d’Annibal à Spolette, à Pérouse à table d’hôte, à Arezzo sur le seuil de la maison qu’habita Pétrarque ; enfin, la première personne que je rencontrai sur la place du Grand-Duc, à Florence, devant le Persée de Benvenuto Cellini, Edgard, ce fut lady Penock. À Pise, elle m’apparut au Campo-Santo ; dans le golfe de Gênes, sa barque faillit faire chavirer la mienne ; à Turin, je la retrouvai au musée des antiquités égyptiennes. Toujours elle, partout et toujours ! Ce qu’il y a de plaisant dans tout cela, c’est que milady, en m’apercevant, se troublait, rougissait, baissait les yeux, et, se croyant en butte aux obsessions d’une passion désordonnée, marmottait entre ses longues dents : Shocking ! Shocking !

De guerre lasse, je dis adieu à l’Italie et je repassai les monts. D’ailleurs, chère patrie, j’avais hâte de te revoir ! Je traversai la Savoie, et quand je vis bleuir au lointain horizon les montagnes du Dauphiné, mon cœur battit, mes paupières s’humectèrent, comme au retour d’un long exil, et je ne sais quelle sotte honte m’empêcha de me jeter à bas de ma voiture et de baiser le sol de la France. Salut, terre généreuse et féconde, foyer toujours ardent de l’intelligence et de la liberté ! En te touchant, l’âme s’élève, l’esprit s’agrandit, et pas un de tes enfants ne rentre dans ton sein sans palpiter d’une sainte ivresse et tressaillir d’un légitime orgueil. J’allais rempli d’une douce joie. Les arbres me souriaient, la brise me disait de douces paroles, les petites fleurs qui tapissaient la marge du chemin me souhaitaient la bienvenue, et je me retenais pour ne point embrasser comme des frères les braves gens qui se croisaient avec moi sur la route. Et puis,