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puis, m’étant assis sur l’appui de ma fenêtre ouverte, d’où je voyais mon étoile fidèle luire paisiblement dans les ténèbres, je demeurai là jusqu’au matin, plein de tristesse et de mélancolie.

La fortune a ses devoirs aussi bien que la pauvreté. Comme noblesse, fortune exige. S’il était vrai que je fusse riche à ce point, je ne pouvais, je ne devais plus vivre ainsi que je venais de le faire. Au bout de quelques jours, je me rendis chez Frédéric, qui ne manqua pas de me croire ramené brusquement de Jérusalem par la lettre qu’il m’avait écrite ; je me gardai de le détromper, ne voulant rien ajouter à sa reconnaissance, qui me paraissait plus que suffisante déjà. Tenez-moi quitte des détails ; il est très-vrai que j’avais un million. J’en atteste ici le ciel, mon premier mouvement fut de courir encore une fois à la recherche de ma chère lumière, pour soulager, s’il y avait lieu, l’infortune qu’elle éclairait. Mais je me dis qu’un être si laborieux était fier à coup sûr, et je m’arrêtai par crainte d’offenser un noble orgueil.

Un mois plus tard, par une nuit de mai, j’avais vu s’éclipser successivement les mille flambeaux des maisons voisines. Deux lampes seules brûlaient dans l’ombre : c’étaient les deux lampes amies. Je restai longtemps à contempler le rayon lumineux qui glissait à travers le feuillage, et quand je sentis passer sur mon front le premier frisson des brises matinales : « Adieu ! m’écriai-je dans mon cœur attristé ; adieu, petite étoile, doux soleil de mes nuits, astre cher à ma solitude ! Demain, à cette heure, mes yeux te chercheront et ne te verront plus. Et toi, qui que tu sois, qui travailles et qui souffres à cette pâle lueur, adieu, ma sœur ! adieu, mon frère ! poursuis ta destinée, veille et prie ! Je prierai Dieu, de mon côté, pour qu’il abrège le temps de tes épreuves. »

Je dis aussi adieu à ma chambrette, non pas un adieu