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Page:Giraudoux - Amica America, 1918.djvu/60

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Parce que l’on nous dédaigne !

Celles que l’on dédaigne sont toutes jeunes ou toutes vieilles. Un gros homme sans orgueil, mari d’une dédaignée, porte la bannière. Les spectateurs s’étonnent de voir dans le groupe Emily Battenson, l’actrice qu’un souverain a follement aimée, et apprennent ainsi que l’amour le plus fou des hommes, même des empereurs, est un dédain.

Parce que nous sommes irritées d’être jolies !

Toutes sont jolies, élégantes ; toutes agitées par le doux démon de la transparence et des beautés. Celles qui sont plus belles à cheval ont eu le droit d’amener leurs chevaux. Toutes sérieuses, à part l’une qui sourit, amoureuse d’elle-même, qui voudrait être homme, mais femme aussi, mais être double. La dernière, une grande fille plus irritée que les autres, qui lance des regards acharnés, la plus belle.

Mais soudain d’un seul geste, d’un geste égal, comme si le même mort passait devant chacun d’eux, les cent mille spectateurs se découvrent à la fois.

Parce que nous voudrions venger le Lusitania.

Les musiques cessent de jouer. Du port, les sirènes crient sans relâche, celles seulement des bateaux qui font le service d’Europe, des bateaux qui peuvent être coulés. Des milliers de femmes avec une petite fille à la main, parmi lesquelles — on frissonnait devant chaque petit visage triste ou énergique — étaient deux fillettes naufragées et orphelines. Vague venue du port, de la mer même, et qui bientôt