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LE FAIBLE BERNARD I79

lait des boulettes de pain sur le bout de ses doigts pour se convaincre des mensonges du toucher, où il découvrait que les ombres étaient rouge vif, les feuilles rosa, il devait convenir que les couleurs de sa maison res- taient précises et massives, que ni les gestes de ses parents ni leurs paroles ne se lais- saient interpréter. Accrochée au mur du sa- lon, une fausse palette sur laquelle les sept couleurs restaient isolées donnait aux vases, aux: meubles, à l'air lui-même, le diapason officiel. H n'y avait pas à en douter; le monde extérieur existait dans sa famille; on avait oublié, et cela gâtait toute la perspective de son théâtre, de refermer la trappe qui l'avait jeté sur la scène.

L'illusion n'eût été parfaite que pour un orphelin. Il se gardait bien de souhaiter un pareil sort, car il avait pour son père et sa mère une grande affection, mais il ne pouvait prendre sur lui de les initier ou de les mêler à son autre vie. Il se sentait nerveux et vaguement coupable, à chaque congé qui l'amenait en province, comme l'enfant sur les chevaux de bois que la vue de ses parents

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