Page:Giraudoux - Provinciales.djvu/44

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— à pas précipités, avec des regards terribles, — comme on mène un escadron.

On arrivait ; un tout petit mur entourait le cimetière, assez bas pour que les feux follets, les nuits de sabbat, puissent le sauter sans s’éteindre. Toutes les tombes étaient à l’ombre, et l’on n’avait planté que des arbres dont l’ombre n’est pas malsaine. Sous les ifs, qui semblent des sapins retroussés par le vent, étaient étendues les femmes ; d’abord les jeunes filles aux prénoms souples et câlins, puis les épouses et les veuves aux prénoms aussi doux que ceux des jeunes filles. Les hommes reposent sous des chênes et des pommiers calleville, dont les racines se glissent peu à peu vers la fosse, pour reconnaître le mort, et de quel bois est le cercueil.

On enterra le père Voie devant un frêne maigrelet ; des oiseaux s’envolèrent du trou, effleurant le croque-mort qui s’impatientait : la boîte de son mort étant rectangulaire, il n’en pouvait reconnaître la tête. Le cercueil glissa enfin, sans grincement, sans bruit sourd, jusqu’au fond, et le gazon n’était pas même froissé sur son passage. Couché, le père Voie était aussi léger pour la terre qu’il l’était debout.