Page:Giraudoux - Simon le pathétique.djvu/39

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dans la famille. Chaque fois que je débouchais sur l’avenue partout semblable de la gare, je me sentais partir pour un pays lamentable et gâché — qu’hélas j’ai aperçu — pour le Sahara planté de houblon, pour Ceylan bordé d’usines ; je me sentais abandonné… Ceux qui vont vers la même ville devraient s’attendre jusqu’à ce qu’ils soient au moins une dizaine : et encore l’on ne part bien qu’à mille, qu’à dix mille, pour une grande aventure. Du lycée même, tout enfant, je ne me décidais à revenir que par le dernier train. Il fallait que ma vieille bonne m’attirât en m’écrivant que je trouverais à la maison un chevreuil donné par un garde, un renardeau, un louveteau. J’aurais méprisé une boîte de couleurs, une bicyclette, mais je succombais chaque fois devant cet appât vivant. Le soir de mon retour n’était que plus décevant et vide, près de cette cheminée, sur ce lit où aucune bête sauvage ne venait me lécher les mains.

Avant de quitter Paris, je voulus passer un après-midi à Dieppe. J’aurais eu honte de ne pas connaître la mer avant de m’enfoncer en Europe ; ainsi je partirais du seul niveau véritable… C’était bien elle, telle que je l’imaginais du moins, avec son écume de mouettes. Tous