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cynique », qui « n’a créé que des êtres grossiers, pleins de germes des maladies, qui, après quelques années d’épanouissement bestial, vieillissent dans les infirmités, avec toutes les laideurs et toutes les impuissances de la décrépitude humaine ».

Or, là est la plaie, l’achoppement fatal du naturalisme. Car l’homme veut vivre, veut jouir.

Et là éclate aussi la première et grande contradiction dans la « philosophie » de Maupassant.

Le pessimiste vrai, celui qui est conséquent avec lui-même, a la haine ou le mépris du Créateur, mais il déteste également l’œuvre de la création. Tel, Alfred de Vigny, dont un critique, qui l’a bien pénétré, a pu dire : « La nature laisse Vigny indifférent à sa beauté. Il reste devant elle aussi hostile, aussi accusateur que devant Dieu lui-même ».[1]

Maupassant, au contraire, adore la Nature, entre en communion avec elle. Nul poète n’a mieux exprimé que ce prosateur, le charme des matins clairs, des bois ombreux, des cieux étoilés. Nul n’a mieux traduit le frisson de l’âme en face des aspects permanents ou changeants du monde physique.

Il aime la terre, les arbres, les vastes paysages, vibrants de soleil ou endormis sous « le charme tendre de la lune ». Il aime la forêt et la montagne et l’eau, l’eau surtout, l’eau courante et remuante de la mer et des rivières — et l’eau morte du marécage, si « troublant », parfois, si inquiétant, avec ses torpeurs, ses vagues rumeurs de roseaux, ses brumes qui traînent, ses silences…

C’est pourquoi les « descriptions » de Maupassant sont toujours pleines d’âme, et saisissantes. — « Quel lecteur, pour si las et paresseux qu’il soit, a jamais passé une seule description de Maupassant ? » dit Marcel Prévost.[2] — C’est qu’en

  1. E. Dupuy. La Jeunesse des Romantiques. A. de Vigny, Paris, 1905.
  2. M. Prévost. — Préface des Contes choisis pour la jeunesse.