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L’Adieu du Poète

me venait sur la terre d’exil, et cette lueur tendre, partie de votre âme, réchauffa mon existence fatiguée. Je ne savais même pas votre nom… Demande-t-on le nom de la fleur qui parfume et dont la corolle semble attendre un aveu ? Que nous importe qu’elle se nomme myosotis, rose ou pâquerette : ce que nous voulons, c’est sa grâce et son parfum. Demandons-nous son nom à l’oiseau qui jette sa note charmeuse dans toutes nos harmonies ? Nous nous réjouissons de ses chants : peu importe qu’il soit rossignol, fauvette ou pinson Pourquoi, alors demander son nom à la femme qui nous sourit ? Un sourire, c’est une caresse de fleur heureuse, une éclosion du cœur, un éblouissement d’âme ! Dans un sourire, la femme ne met-elle pas tout ce qu’il y a de délicat, de subtil dans sa nature ? C’est l’essence de son être qui monte à ses lèvres et s’y fixe en une grâce infinie, captivante… Vous êtes triste, vous pleurez, vous attendez la mort ; le sourire d’une femme éclaire votre nuit, et vous demanderiez un nom, quand on vous donne une vie, un soleil ? Allons donc ! J’avais votre sourire : il se baigna de pleurs ; mais vous me l’avez gardé pendant que je vous racontais l’histoire du pauvre exilé… Jeanne, souriez-moi encore !…

Jeanne (souriante)

Vous rappelez-vous ma surprise en apprenant qu’il y avait un pays inconnu où vivaient des frères ? Cette ignorance ne vous blessa pas, car je ne suis qu’une humble fille, et vous l’aviez rencontrée déjà dans les hautes sphères sociales de la France. Avec quelle douceur vous m’instruisiez ! « N’avez-vous jamais entendu parler d’un pays par delà l’Atlantique, me disiez-vous, d’un pays immense colonisé par vos pères ? Ne connaissez-vous pas le nom de Champlain qui fonda mon vieux Québec ? » Ah ! Québec, comme vous l’aimez ; avec quelle émotion vous me parliez de votre Cap et des horizons uniques que l’œil embrasse de ces hauteurs splendides ! Vous me parliez de vos héros et, fièrement, vous ajoutiez : Là-bas, on les prononce à genoux, ces noms que vous ignorez ici : ce sont les saints de ma patrie : Puis tristement : « Vous ne les connaissez pas, de même que vous ignorez que le meilleur de vous n’est plus en France, mais que la vieille monarchie a donné le plus pur d’elle-même à des rives sauvages…

Crémazie

Avec quelle patience, vous m’écoutiez.