Page:Gobineau - Nouvelles asiatiques, ill. de Becque, 1924.djvu/202

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— Vois-tu, fille de mon oncle, m’écriai-je un jour en pleurant à chaudes larmes, ma vie s’en va et dans quelques jours on me portera au cimetière ! Tu causes avec Hassan, tu parles avec Kérym, tu ris avec Suleyman et je suis à peu près sûr que tu as donné une tape à Abdoullah ! Je sais bien qu’il n’y a pas de mal et qu’ils sont tous tes cousins comme moi et que tu es incapable d’oublier les serments que tu m’as faits de n’aimer que moi seul et que tu ne veux pas me faire de la peine ! Mais avec tout cela, je souffre, j’expire, je meurs, je suis mort, on m’a enterré, tu ne me verras plus ! O Leïla, mon amie, mon cœur, mon trésor, prends pitié de ton esclave, il est extrêmement malheureux !

Et en prononçant ces mots, je redoublai mes pleurs, j’éclatai en cris, je jetai mon bonnet, je me donnai des coups de poings sur la tête et je me roulai par terre.

Leïla se montra fort émue à l’aspect de mon désespoir. Elle se précipita à mon cou, m’embrassa sur les yeux et me répondit :

— Pardonne-moi, ma lumière, j’ai eu tort, mais je te jure par tout ce qu’il y a de plus sacré, par Aly, par les Imams, par le Prophète, par Dieu, par ta tête, que je ne recommencerai plus, et la preuve que je te tiendrai parole, c’est que tu vas tout de suite me demander en mariage à mon père ! Je ne veux pas d’autre maître que toi et je serai à toi, tous les jours de ma vie !

Et elle recommença à m’embrasser plus fort qu’auparavant. Moi, je devins fort inquiet et soucieux. Je, l’aimais bien sans doute, mais je ne lui avais jamais dit que j’eusse de l’argent, parce que j’avais peur qu’elle ne voulût l’avoir et ne réussît à me le prendre. La demander en mariage à mon oncle, c’était inévitablement être obligé d’avouer à mon père, à ma mère, à toute ma parenté aussi bien qu’à elle l’existence de mon petit trésor. Alors que deviendrais-je ? J’étais un homme ruiné, perdu, assassiné ! D’autre part, j’avais, une envie extrême d’épouser Leïla, ce qui me comblerait des bonheurs les plus grands que l’on puisse imaginer dans ce monde et dans l’autre. En outre, je n’aurais plus rien à craindre des empressements de Hassan, de Kérym, de Suleyman et d’Abdoullah, qui me faisaient cuire à petit feu. Pourtant