Page:Gobineau - Nouvelles asiatiques, ill. de Becque, 1924.djvu/210

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le régiment. Nous allâmes ensemble nous rafraîchir chez un juif. Ils partaient le soir même pour Téhéran et rejoignaient le corps. Je me décidai à m’en aller avec eux, et, ayant emprunté de l’un d’eux quelques vêtements, de l’autre le reste, je pliai avec soin mon magnifique costume, et, pendant que le Juif avait le dos tourné, nous gagnâmes la porte, puis la rue, puis la sortie de la ville, et, en riant à gorge déployée de toutes sortes de folies que nous disions, nous entrâmes dans le désert et nous marchâmes la moitié de la nuit.

Notre voyage fut très-gai, très-heureux, et je commençai à trouver que la vie de soldat me convenait parfaitement. Un de mes deux compagnons, Roustem-Beg, était vékyl, sergent d’une compagnie. Il me proposa d’entrer sous ses ordres et j’acceptai avec empressement.

— Vois-tu, frère, me dit-il, les imbéciles s’imaginent que c’est fort malheureux d’être soldat. Ne tombe pas dans cette erreur. Il n’y a de malheureux en ce monde que les nigauds. Tu n’en es pas, ni moi non plus, ni non plus Khourshyd, que voilà. Sais-tu un métier ?

— Je suis chasseur.

— À Téhéran, ce n’est pas une ressource. Fais-toi maçon ; il est forgeron, notre ami Khourshyd, moi, je suis cardeur de laine. Tu me donneras un quart de ta solde ; le sultan aura la moitié, en sa qualité de capitaine ; tu feras de temps en temps un petit cadeau au nayb ou lieutenant, qui n’est pas trop fin, mais non plus pas méchant ; le colonel, naturellement, prend le reste, et tu vivras comme un roi avec ce que tu gagneras.

— Les maçons gagnent donc beaucoup à Téhéran ?

— Ils gagnent quelque chose. Mais il y a, en outre, une foule de moyens de se rendre la vie agréable et je te les enseignerai.

Il m’en enseigna un en route et ce fut bien amusant. Comme il avait sur lui sa commission de vékyl, nous nous présentâmes dans un village en qualité de collecteurs des impôts. Les paysans furent complètement nos dupes, et, après beaucoup de pourparlers, nous firent un petit présent pour que nous consentissions à ne pas lever les tailles et à leur donner un sursis de quinze jours ; ce que nous accordâmes