Page:Gobineau - Nouvelles asiatiques, ill. de Becque, 1924.djvu/237

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pour qu’on aille en chercher une, quand on veut se marier. Au contraire, une veuve a beaucoup de valeur, et elle est souvent estimée très-haut. Cela dépend de l’expérience qu’elle a acquise pour la conduite d’un ménage, de sa réputation d’économie et de l’habitude qu’elle a de diriger tout autour d’elle. Et, en outre, on sait précisément si elle peut ou non donner des enfants à son mari. Quant à l’amour, vous pouvez bien penser que, avec la figure de ces dames-là, il n’en est pas question, personne n’y songe, ni ne comprend ce que ça peut être. J’essayai une fois de raconter à ma maîtresse la passion si touchante et si belle que Medjnoun éprouvait pour Leïla et qui me rappelait ma Leïla à moi-même, et me jetait dans des transports de douleur. Ma maîtresse me battit outrageusement pour avoir osé l’ennuyer de pareilles sottises. Elle était encore bien jeune ; mais elle avait déjà eu deux maris avant celui qu’elle tenait pour le moment, et trois enfants par-dessus le marché. Aussi jouissait-elle d’une immense considération, et c’était un honneur pour moi, auquel j’étais sensible, que d’appartenir à une pareille dame.

Il y avait environ trois mois que je vivais là assez paisiblement, et je commençais à m’habituer à mon sort (en vérité, et comme je l’ai dit, il n’était pas très dur), quand un matin, me promenant désœuvré dans le camp, je fus abordé par deux autres esclaves, persans comme moi, soldats du régiment de Goum, qui me dirent savoir d’une façon certaine, et qui me jurèrent sur leurs têtes que nous allions être délivrés dans la journée et renvoyés à Meshhed.

On avait déjà fait courir ce bruit si souvent, et si souvent il s’était trouvé faux, que je me mis à rire et conseillai à mes camarades de ne pas trop croire à ce qu’on leur avait annoncé et de continuer à faire provision de patience. Cependant, en les quittant, je me trouvais, comme chaque fois que j’entendais de pareilles nouvelles, assez troublé et ému. Je sais bien qu’il se passe assez de vilaines choses dans l’Iran, et qu’on y trouve bien du mal ; pourtant, c’est l’Iran, et c’est le meilleur, le plus saint pays de la terre. Nulle part au monde on n’éprouve autant de plaisir ni autant de joie. Quand on y a vécu, on