Page:Gobineau - Nouvelles asiatiques, ill. de Becque, 1924.djvu/268

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pas aimé. Pourquoi le croyait-il ? C’est qu’il aimait trop. La folie de la tendresse l’avait saisi à l’improviste, brusquement, rudement, complètement ; il n’avait rien compris à ce qui lui arrivait. Il se rappelait toutefois ce que Djemylèh lui avait dit. Hélas ! les paroles, une à une, comme des perles, étaient conservées dans son cœur ; mais, à force de les écouter, de les redire, de les écouter encore, de les considérer, il ne les comprenait plus, et il savait seulement qu’il n’avait pu répondre un seul, un unique mot ; il était bien misérable.

Sa mère le voyait s’éteindre. La poitrine du pauvre enfant s’embarrassait, une chaleur torpide le dévorait. Il s’en allait. Toutes les maisons voisines connaissaient son état, et, comme rien n’expliquait un mal si subit, on était généralement d’accord qu’un maléfice avait été jeté sur lui, et on se demandait d’où venait le coup. Les uns prétendaient savoir que les Mouradzyys l’avaient commandé ; les autres accusaient tout bas le vieil Osman d’être le meurtrier et d’avoir payé l’assassinat magique à un docteur juif.

C’était un soir, assez tard. Depuis deux jours, le jeune homme n’avait plus dit une seule parole. Sa tête était tournée contre la muraille, ses bras traînaient insensibles sur le lit ; sa mère, après avoir étalé bien des amulettes autour de lui, n’ayant plus d’espérance, s’attendait à le voir expirer, le regardait avec des yeux avides, quand soudain, à la grande surprise de la pauvre femme, presque à son effroi, Mohsèn retourna brusquement la tête vers la porte ; et, l’expression de son visage changeant, une lueur de vie l’illumina. Il écoutait. Sa mère n’entendait rien. Il se souleva, et d’une voix assurée prononça ces paroles :

— Elle sort de sa maison et vient ici !

— Qui ? mon fils ! qui vient ici ?

— Elle-même, ma mère, elle vient ! Ouvrez-lui la porte ! reprit Mohsèn d’une voix éclatante ; il était hors de lui ; mille flammes étincelaient dans ses yeux. La vieille femme, sans savoir elle-même ce qu’elle faisait, obéit à cet ordre impérieux, et, sous sa main palpitante, la porte s’ouvrit toute grande. Elle ne vit personne. Elle écouta ; elle