Page:Gobineau - Nouvelles asiatiques, ill. de Becque, 1924.djvu/342

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gouvernements sont des arsenaux de scélératesses, que les quelques sages répandus dans l’Univers existent, seuls, d’une manière véritable et que Dieu très-haut et très-grand, qui a créé cet amas de boue et de turpitudes où brillent si peu de paillettes d’or, a dû avoir, pour agir ainsi, des motifs que nous ne connaissons pas et dont l’apparente absurdité doit recéler certainement des causes d’une profondeur adorable.

— Amen ! murmura Redjèb-Aly, qui n’avait pas compris le premier mot à cette tirade, sinon que tout respect était rendu au Créateur des mondes. Quant au poète, il cherchait une rime au mot perdre, et le Shemsiyèh souriait avec une certaine ironie qui fût remarquée par Sèyd-Abdourrahman, lequel se tourna vivement de son côté et le prit à parti en ces termes  :

— Tu te moques, s’écria-t-il d’un air de triomphe, tu te moques des paroles que je viens de prononcer, parce que tu crois, toi, misérable, dont le nom est un objet d’horreur et la personne un objet de dégoût pour les populations au milieu desquelles tu vis, tu crois posséder seul la vérité et cette pauvre vérité se trouverait ainsi, dans le monde, comme une perle écrasée, ternie, jaunie, dépouillée de toute monture et gisant presque inconnue dans la fange  ! Eh bien  ! Tel que tu es, Shemsiyèh, je te proposerai aux autres pour exemple et ils verront que tu es leur modèle. Tes pères ont été puissants ; leurs erreurs se sont étendues sur tant de pays qui désormais professent d’autres dogmes que, sous le ciel, il n’était pas alors de place pour des religions différentes ; tes folies étaient considérées comme aussi sages que les démonstrations les plus sévères du bon sens ; et tes ancêtres les expliquaient avec conviction dans des temples de marbre et de porphyre. Tout est changé. L’esprit des hommes s’est tourné vers d’autres opinions ; mais console-toi, ces opinions seront un jour traitées comme la tienne ; et les multitudes considéreront un musulman, un juif, un chrétien, du même œil qu’elles te regardent aujourd’hui.

Le Shemsiyèh salua sans répondre et Valerio demanda au Sèyd  :

— Vous qui avez parcouru tant de régions, n’êtes-vous jamais entré sur un territoire européen ?