Page:Gobineau - Nouvelles asiatiques, ill. de Becque, 1924.djvu/346

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population entraînée avec lui. Souvent les paysans émettaient des prétentions inacceptables quant aux prix qu’ils voulaient percevoir. On discutait avec eux ; les mandataires du muletier leur opposaient la concurrence d’autres villages ; souvent ces derniers s’entendaient avec leurs voisins pour maintenir et imposer des conditions très-élevées ; de la part des diplomates de la caravane c’étaient donc des propositions, des refus, des contre-propositions, des intrigues, des corruptions pratiquées sur tel ou tel de leurs adversaires, des sollicitations appuyées de présents auprès des autorités locales, afin d’obtenir que celles-ci donnassent des ordres propres à modérer la rapacité des gens des villages. Sans cesse les négociateurs revenaient auprès de Kerbelay-Houssein pour dire ce qu’ils avaient obtenu, recevoir de nouvelles instructions, porter des offres nouvelles. Le muletier était occupé comme le ministre dirigeant d’un grand État. Lorsque tout semblait réussir à souhait, que l’orge, la paille hachée, les vivres étaient accordés à bon compte et en abondance, la caravane marchait plus vite et d’une façon régulière et assurée. Dans le cas contraire venaient les lenteurs. Quand on n’avait pas réussi à s’entendre et que les habitants des villages placés sur la ligne du trajet s’obstinaient dans des exigences déraisonnables, alors Kerbelay-Houssein usait d’un grand moyen ; il annonçait qu’il allait quitter la route directe, et, si cette menace ne produisait pas son effet, il la mettait à exécution. C’était un coup d’état. Toute la caravane alors, sans que le plus grand nombre des voyageurs en sût rien, prenait à travers champs et commençait un long détour, allant chercher des contrées moins avares et bien souvent il arrivait alors que les paysans, effrayés de perdre des bénéfices certains, faisaient leur soumission et envoyaient prier Kerbelay-Houssein de revenir. Dans ce cas là, celui-ci refusait avec hauteur jusqu’à ce que des indemnités suffisantes lui eussent été accordées pour les retards et les peines supplémentaires. Souvent aussi les fournisseurs assurés de placer ailleurs leur marchandise le laissaient aller. Il cheminait donc se faisant précéder toujours de ses émissaires et tirait de la fortune le meilleur parti possible. Il n’avait