Page:Gobineau - Nouvelles asiatiques, ill. de Becque, 1924.djvu/74

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de leurs lits, Omm-Djéhâne avait pris des rues détournées, et étant arrivée à la maison de poste, voilée à la façon des femmes tartares, avait frappé discrètement à la porte d’entrée. L’ordonnance d’Assanoff lui avait ouvert : et elle avait passé vivement devant le soldat sans lui rien dire ; et, lui, jugeant que cette femme était attendue par les officiers, n’avait pas même songé à lui adresser une question. La danseuse entra ainsi dans la salle où était Moreno, occupé à boucler sa valise pour le départ, qui allait avoir lieu dans une heure.

Il leva les yeux au bruit, vit la jeune fille, et machinalement chercha du regard Assanoff. Omm-Djéhâne ne lui laissa pas le temps de se trouver embarrassé.

— Monsieur, lui dit-elle, je viens ici chercher le lieutenant Assanoff. Il a dû vous dire que je suis sa cousine, et, comme il ne peut pas manquer d’être confiant, il aura certainement ajouté que j’étais sa fiancée. Ainsi, comme il me paraît absent, permettez-moi de l’attendre.

— Mademoiselle, répondit Moreno froidement, en offrant toutefois une chaise à la nouvelle arrivée, vous avez raison, Assanoff est confiant, je sais que vous êtes sa cousine ou, du moins il le croit. Mais, quant à devenir sa fiancée et tout ce qui s’ensuit, dont vous ne me parlez pas, nous n’y sommes pas encore, et je vous engage à changer de visées.

— Pourquoi ? monsieur.

— Mademoiselle, vous perdriez Assanoff et sans profit pour vous.

Omm-Djéhâne prit un air agressif.

— Qui dit que je cherche un profit ? Assanoff vous a-t-il chargé de me parler comme vous le faites ?

Moreno sentit qu’il ne devait pas se laisser emporter par son zèle ; il rompit, comme disent les maîtres d’armes, et engagea le fer autrement.

— Voyons, mademoiselle, vous n’êtes pas une personne ordinaire, et il ne faut pas vous avoir regardée longtemps pour lire votre âme dans vos traits. Aimez-vous Assanoff ?

— Pas du tout !