Page:Gobineau - Nouvelles asiatiques, ill. de Becque, 1924.djvu/99

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Il lui fit traverser la petite cour de dix pieds carrés environ, dallée en grandes briques plates, et au milieu de laquelle était un bassin revêtu de tuiles émaillées du plus beau bleu d’azur, où une eau assez fraîche faisait plaisir à voir. Des rosiers étaient à l’entour couverts de fleurs incarnates. Après avoir monté quelques marches, le derviche se trouva dans un salon de médiocre grandeur, ouvert en face des rosiers ; les murailles étaient agréablement peintes en rouge et en bleu avec des ramages d’or et d’argent ; des vases chinois pleins de jacinthes et d’anémones étaient placés dans les encoignures ; un beau tapis kurde couvrait le sol et des coussins d’indienne blanche à raies rouges couvraient le sopha un peu bas, qu’on nomme takhteh, sur lequel Mirza-Kassem invita son hôte à prendre place.

Celui-ci fit les difficultés exigées par le savoir-vivre. Il se défendit de tant d’honneur, en alléguant son indignité.

— Je ne suis, répéta-t-il plusieurs fois avec modestie, qu’un très-misérable derviche, un chien, moins que de la poussière sous les yeux de Votre Excellence. Comment aurais-je l’audace d’abuser à ce point de ses bontés ?

Le derviche parlait ainsi ; mais, pourtant, il y avait sur toute sa personne, un cachet de distinction, et, pour tout dire, de dignité si évidente, que l’honnête Mirza-Kassem était intimidé et se demandait s’il ne devait pas demander humblement pardon à un tel homme de l’audace qu’il avait eue de l’amener chez lui. En lui-même, il se disait : Quel est ce derviche ? Il a l’air d’un roi, et plus fait pour commander une armée que pour errer sur les grands chemins !

Cependant le derviche avait pris place. Le petit esclave nègre apporta le thé ; mais le derviche ne voulut boire que la moitié d’un verre d’eau. Le kalioun fut de même présenté ; le derviche le refusa, alléguant que ses principes ne lui permettaient pas l’usage de pareilles superfluités, de sorte que Mirza-Kassem qui aurait volontiers tiré quelques bouffées pleines de saveur se crut obligé de louer le zèle du saint personnage et de renvoyer l’instrument tentateur en affirmant que, pour sa part, il n’avait pas non plus l’habitude de s’en servir.