Page:Gobineau - Nouvelles asiatiques 1876.djvu/185

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la vie et, par Dieu, je ne l’oublierai jamais ! Tu n’auras pas obligé un ingrat. Je ferai ta fortune ! Viens me trouver demain au Palais, et, si je ne suis pas sur la porte, fais-moi demander, j’aurai certainement quelque chose à t’annoncer. Mais, avant tout, jure-moi que tu ne parleras à personne de ce qui nous est arrivé ce soir, et que tu n’en souffleras pas mot à ton père, à ta mère, à ton oreiller ! Je suis un homme pieux et honoré de tout le monde pour la sévérité des mœurs, dont je ne me dépars jamais ; tu comprends, lumière de mes yeux, que, si l’on venait à me calomnier, j’en éprouverais beaucoup de chagrin !

Gambèr-Aly s’engagea par les serments les plus terribles à ne pas confier même à une fourmi, le plus taciturne et le plus discret des êtres, le secret de son nouvel ami. Il jura sur la tête de cet ami, sur celle de sa mère, de son père et de ses grands-pères paternel et maternel, et consentit à être appelé fils de chien et de damné, s’il ouvrait jamais la bouche sur leur commune aventure. Puis, après avoir multiplié ces redoutables serments pendant un gros quart d’heure, il prit congé du pishkedmèt, un peu calmé, qui l’embrassa sur les yeux et promit d’être fidèle au rendez-vous assigné pour le lendemain matin.

Gambèr-Aly avait souffert d’être battu, et il avait craint d’être assommé. Le danger passé et la douleur des meurtrissures un peu amortie, il se sentit fort libre ; il n’en était pas à sa première affaire et n’avait