Page:Gobineau - Nouvelles asiatiques 1876.djvu/288

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Le maître dit à la dame :

— Mets l’enfant de côté et sers-moi à souper.

La dame obéit tout de suite. Elle commença à remuer des plats et des assiettes, et elle me fit signe de la suivre hors de la tente ; j’obéis immédiatement, ayant conçu l’idée de l’attendrir par mon zèle. Elle me conduisit dans une espèce de cabane qui servait de cuisine, où bouillait je ne sais quoi dans une marmite. Elle me fit un signe, que je ne compris pas bien ; sans me rien expliquer, elle prit un bâton et m’en déchargea un coup sur la tête.

— Voilà, pensai-je, une manière de monstre qui ne me rendra pas la vie facile.

Je me trompais. C’était une brave femme. Elle me battait souvent, elle était ponctuelle, voulait que tout se fit à sa manière ; mais elle me nourrissait bien, et, quand elle se fut un peu habituée à moi, elle me parla davantage, et je réussis plus d’une fois à la tromper, sans qu’elle s’en soit jamais aperçue. Quand elle était de bonne humeur, elle me disait en riant aux éclats :

— N’est-ce pas que vous autres gens de l’Iran, vous êtes plus bêtes que nos chevaux ?

— Oui, maîtresse, répondais-je avec humilité, c’est bien vrai. Dieu l’a voulu ainsi !

— Les Turkomans, continuait-elle, vous pillent, vous volent, vous emportent vous-mêmes, et vous vendent à qui ils veulent, et vous ne savez pas trouver un moyen de les en empêcher.