Page:Gobineau - Nouvelles asiatiques 1876.djvu/393

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

fortification, ouvrage démantelé des Empereurs byzantins. L’Europe n’a jamais connu rien de pareil, en étendue, en hauteur et pour les caprices inouïs de l’architecture. C’est là qu’on peut contempler dans une réalité qui ressemble à un rêve les modèles certains de ces châteaux magiques, que l’enchanteur Atlant et ses pareils faisaient naître d’une parole magique, pour la plus grande gloire de la chevalerie. Avant que les Croisés eussent considéré d’aussi étonnantes architectures, il n’était pas possible que l’imagination du poëte le plus dédaigneux de la vraisemblance pût en amuser l’esprit d’auditeurs qui n’y auraient pas cru. Des courtines énormes ; à leurs flancs des mousharabys sculptés, entassés les uns sur les autres, des tours portant des faisceaux de tourelles, guirlandés de clochetons ; des donjons travaillés comme de la dentelle, des portes qui s’ouvrent sur l’immensité, des fenêtres d’où il semble qu’on pût voir jusqu’au plus profond des cieux, et tout cela énorme, avec une délicatesse et une élégance inouïes, voilà ce qui se présente aux regards, et, je le répète, au-dessous, flottent les nuages, tandis que le soleil miroite amoureusement sur les plates-formes festonnées d’innombrables créneaux.

Les amants arrivés à Erzeroum y furent reçus à bras ouverts par le gouverneur. C’était un Kurde. Il avait été élevé à Paris, au collège, et avait passé quelque temps à Constantinople, dans les bureaux de la Porte ; nommé secrétaire à la légation de Berlin, il s’y était arrêté