Page:Gobineau - Nouvelles asiatiques 1876.djvu/95

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ce qu’étale la grande vallée qui mena à Bakou. Là, au contraire, beaucoup d’espace, beaucoup d’air clair, de lumière limpide ; un sol argileux, poussière en été, mais poussière fine, impalpable, étouffante ; en hiver, boue profonde où les troïkas les plus légers s’engloutissent par dessus les moyeux, puis, courant parallèlement de droite et de gauche, les rangées lointaines des montagnes : c’est déjà un avant-poste des grandes vallées, des grandes chaînes, des immenses étendues de la Perse.

Moreno avait été si affecté de sa rencontre inopinée avec la danseuse, et surtout de ce qu’il se figurait d’elle et de la façon dont il la comprenait, qu’il restait presque insensible à la grande scène que traversait la voiture, emportée par ses quatre chevaux, et il restait perdu dans ses réflexions. Sa blessure à la poitrine ne laissait pas que d’être un peu douloureuse. La chair avait été bien entamée. Don Juan s’était pansé comme il avait pu, mais cette sensation rude, cette secousse violente par lesquelles la jeune lesghy avait, en quelque sorte, appris en un clin d’œil à l’officier ce qu’elle était et le souvenir qu’il devait garder de son entrevue avec elle, ne mettait pourtant aucune amertume dans les réflexions qui en étaient la conséquence, et le jugement final de Moreno était assez sain et judicieux. Peut-être un Allemand, un homme du Nord, eût-il eu de la peine à s’expliquer un tempérament qu’un Espagnol sentait plus en rapport avec le sien.