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Page:Godefroy - Histoire de la litterature francaise - XIX Prosateurs T2.djvu/186

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V

LE ROMAN D’AVENTURES ET LE ROMAN-FEUILLETON

Avant d’étudier en détaille roman-feuilleton, cette grande innovation de la littérature mercantile, nous allons parler d’une catégorie libre d’écrivains, de caractères assez dissemblables, apparus à des dates légèrement distantes les unes des autres, qui tous employèrent la forme romanesque sans engouement d’aucune sorte, sans désir ambitieux de moralisation, sans souci de thèse ni de controverse, avec le seul dessein de conter des aventures et de faire de l’art pour l’art. On reconnaîtra peut-être chez quelqu’un d’entre eux certaine tendance à s’éloigner de ce simple but, mais l’écart ne sera que momentané ; l’écrivain reviendra bientôt de lui-même à son premier objet.

Ducray-Duminil qui, l’un des premiers, sut exploiter au profit du roman les sombres terreurs, était au commencement du siècle la providence de la jeunesse, le héros du foyer. Sa gloire est traditionnelle dans les basses régions de la littérature familière. Une seule préoccupation dirigeait Ducray-Duminil en ses nombreux ouvrages : montrer l’innocence aux prises avec la ruse, avec la force ou la barbarie, assurer au dénouement, quelle que fût la situation, le triomphe de la vertu. Il exécutait des variations habiles sur ce thème inépuisable. Malheureusement, le style mélodramatique de ce romancier n’était pas très brillant ni très riche. Lisez une page de Cœlina ou l’enfant du mystère, son chef-d’œuvre, et vous connaîtrez à fond sa manière.

Tiennette raconte à son maître un récent voyage :

« J’étais seule, vous dis-je, avec la nature, à l’entrée d’un bois touffu, qui laissait parvenir de temps en temps à mon oreille le tintement lent et funèbre de la cloche de Passy, lorsque tout à coup des cris aigus frappent mes sens d’une terreur soudaine. Deux hommes teints de sang, la tête couverte de quelque chose de blanc, sortant du bois avec précipitation ; des glaives étincelants brillent dans leur main homicide, et leur démarche pressée m’annonce qu’ils viennent de commettre un grand crime[1]. »

  1. Cœlina, p. 12.