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MENDICITÉ



E nervé par la plainte — en mineur — d’un goujat,
Je tirai quelques sous de ma bourse. Déjà
Le coquin allongeait sournoisement sa griffe.
Un sourire ridait sa trogne d’escogriffe,
Il murmurait : « Dieu vous le rende en paradis ! »
Mais je remis l’argent dans ma poche, et lui dis :
— La propriété, c’est le vol. Comme vous êtes,
Vous autres mendiants, des purs, des gens honnêtes,
Il en résulte que je serais désolé
De vous faire accepter du sale argent volé.


AU VRAI PAUVRE


 

T u peux — Retiens ce mot juste, bien que vulgaire —
Tu peux « te fouiller » toi ! Tu n’auras rien, ou guère !
Mon pauvre Pauvre ! À bas ta patte maigre ! à bas !
Toi, tu ne fais pas peur. Ils ne te craignent pas !
Tu tends la main, le rouge au front, gauche, timide,
Et c’est de pleurs pleurés que ton œil est humide.
Tu ne sais pas les trucs des faux nécessiteux !
Tu ne sais pas que les vrais pauvres, ce sont eux !
Apprends, drôle ! à forcer l’huis des escarcelles.
Travaille ton métier, et sache les ficelles,
Ou va-t-en ! quémandeur qui quémande en tremblant !
Arrière, mendiant au linge usé, mais blanc.
Tu crains d’être importun ? Voleur ! faux frère ! arrière !
Cède aux autres ta place. Hope ! passe derrière.
Nous n’avons rien ici pour toi. L’assiette au lard
Est le propre de ceux qui travaillent pour l’art.
Crée, invente, vas-y, fais quelque chose, comme
Les larmes de salive ou les larmes de gomme,
Et tu seras repu, génie ! oui ! jusqu’au bord.
Voilà. Je le redis : fais ton métier d’abord,
Ou prends la queue. Allons ! ôte toi de là. Leste !

Tu n’as droit qu’à glaner après nous. S’il en reste.